Selon une approche amicale du terrain, dans un contexte humanisé aux multiples aspirations, Coloco fait passer l’art du jardin à un art de rue. Exactement comme si le territoire historique du jardin, échappant aux prérogatives du « propriétaire », devenait l’affaire de tous. Coloco en fêtant ses dix ans pourrait s’inscrire dans un calendrier politique en perpétuelle révision : celui d’une lente abolition des privilèges. Effacement des cloisons isolant les rangs, les castes, les classes et les races mais aussi effacement des limites qui confinent l’art à l’enclos. Sans y prendre garde, Coloco remet en discussion le mot jardin dont la signification, précisément, est l’enclos, le territoire protégé soumis au regard du jardinier. Or, voilà le jardinier dans la rue ! Qu’est devenu le jardin de l’Histoire ? Echapperait-il à ses propres limites ? La clôture, la haie, la bordure, tout ce qui désigne la séparation, la frontière, la ligne de démarcation, serait-il destiné à la désuétude ? Vocabulaire ancien auquel ont encore recours les architectes et les scénographes du statique, progressivement remplacé par la diffusion, le partage, la fête, la mobilité? Les membres du collectif Coloco -au départ trois personnes- n’ont sans doute jamais cherché à défaire l’ordre institutionnel confiné dans l’enclos par une série de provocations de rue. Ils ont interprété les oscillations récentes de l’Histoire, or les temps, précisément, ont changé. Plutôt que de bégayer le savoir-faire des jardins convenus -en y peaufinant le raffinement et la rareté des espèces- ils ont gagné un autre territoire, celui où il est possible aujourd’hui d’assembler une diversité générale : animale, végétale et humaine. Assemblage réglé par le hasard des espèces ou des esprits disponibles, par l’organisation chaque fois changeante d’un projet qui, avant toute chose, consiste en un chantier. Coloco invente un jardin nouveau car il met en situation un jardinier nouveau. Il n’y a pas de jardin sans jardinier. Sauf à parler de tableaux-design montrés comme objets de foire dans les expos à la mode, le jardin, en toutes circonstances, suppose le jardinier et le temps, c’est-à-dire la durée. En invitant les populations à s’impliquer au jardin –dans sa fabrication, dans son suivi- Coloco met en œuvre la seule réalité du « soutenable » : celle qui fait l’objet d’un partage conscient des enjeux de société. Le citoyen, devenu malgré lui jardinier planétaire, se voit convié à une participation réelle à l’évolution du territoire, fragment de la planète. Il n’y a pas d’échelle déterminante à l’action « Fertiles Mobiles ». Si les trois exemples choisis pour illustrer cet engagement écologique et social concernent des villes au tissu dense, ils ne cantonnent pas la philosophie active de Coloco aux seules agglomérations. L’espace rural fait partie du champ exploratoire vers lequel se dirige aussi l’équipe, considérant que les enjeux de société au début de ce siècle concernent autant le territoire bâti que le territoire non bâti pourvoyeur depuis toujours des denrées alimentaires- l’un faisant vivre l’autre. Une part importante des études de paysage se porte d’ores et déjà sur l’imbrication et la dynamique de ces deux milieux, la part liée à la production vivrière se trouvant menacée par l’extension urbaine. Cet ouvrage ne relate pas les actions menées par Coloco dans ce contexte car il s‘agit de processus en cours nécessitant un « temps de retour » avant d’être montrés (Murs à pêches de Montreuil, Jardins de Stolac en Bosnie Herzégovine par exemple). Mais il est important d’insister sur le lien qui unit ces actions diversifiées. Il n’est pas seulement question de parades et de démonstrations de rues. Il est aussi question d’ancrer dans un site une dimension économique, politique et sociale qui, d’une façon ou d’une autre, dessine le futur. Pour autant les enjeux, dont Coloco aborde les aspects avec entrain, ne se noient pas dans un discours embrumé d’effroi et de fin du monde : il s’agit de vivre. Comment transformer le pathos ambiant en une heureuse aventure ? Les enjeux dont on parle ne sont-ils pas trop lourds à partager, trop assombrissants ? Et si, au lieu de regarder l’espace public comme un champ de bataille, on en faisait une salle des fêtes ? Si, pour commencer, on s’en tenait au seul jeu de l’enjeu ? À Montpellier, à Londres ou à Paris, Coloco fait la démonstration qu’un partage des responsabilités « à la brouette » et au rythme des fanfares engage plus sérieusement la société qu’un jeu « à la corbeille » entre initiés. Et puis, à la fin, il en sort une figure que ladite société gagnera toujours à valoriser : celle du jardinier devenu fier de l’être. Gilles Clément, 2011, préface à Coloco, Fertiles Mobiles, Editions Tout Contre, 2012, ISBN: 978-2-9541342-6-0 To buy the book: http://www.archilivres.com/article-2051-Fertiles-Mobiles.html
Le jardin et la fête: d’utilité publique
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